Jean PELTIER DUDOYER
1734 - 1803

La famille Peltier ou Pelletier est originaire de l'Aunis, avec des ramifications à Batz et à l'île de Ré. Où Jean Peltier est né en 1734. Il est fils de Pierre Simon Peltier, négociant (ce mot à l'époque couvre une large activité dans le commerce maritime), installé à Saint-Martin-de-Ré. Il est encore adolescent quand le décès de son père fait qu'il est confié à un de ses oncles Étienne Dudoyer, controleur fiscal du château de Gonnord, en Anjou. En 1758, après des études à Angers, Jean PELTIER, alors "maître ès-art", épouse Gabrielle Marie Dudoyer à Gonnord, où naitront ses 3 enfants : Jean-Gabriel (le futur journaliste), Marie-Étienne (qui sera corsaire) et Françoise (qui épousera François Michaud). Le couple s'installe à Nantes, en 1764, où Jean Peltier pour se distinguer des autres Peltier se fait appeler Peltier Dudoyer ; il était déjà "Dudoyer" par le mariage d'un de ses ancètres avec une jeune fille de cette famille.

En 1765 le nom de J. Peltier Dudoyer figure sur le brouillon de la liste "Poujet" associé à celui de Fremont constructeur de bateaux, alors qu' habituellement seul le constructeur apparaît dans la colonne des vendeurs. Ce premier bateau que l'on trouve armé par lui est le Dudoyer pour un voyage vers Santander. Mais faute de capitaux, il doit le revendre au cours du voyage.


Ne disposant pas asser d'argent pour continuer l'armement, il préfère acheter la "commission d'inspecteur de tous les ports et quais le long des rivières de Nantes à Ingrandes". Poste qui lui donnera l'occasion de rencontrer Jean Joseph Carrier de Montieu, propriétaire de la manufacture d'armes de Saint-Étienne et d'un dépôt à Nantes. Mais Montieu désire profiter de la traite négrière et demande à Jean Peltier d'être son armateur. Ainsi en 1771 la Diligente est armée pour la Guinée. Seize voyages "triangulaires" s'échelonneront dont 12 entre 1771 et 1775.

Jean Peltier s'enrichit rapidement, on trouve son nom dans la liste des principaux armateurs nantais (A.D. de L.-Atl., registre des classes):

45 armements pour un tonnage de 15.245, entre 1771 et 1786.

Preuve de sa réussite, il habite le quartier des armateurs quai de l'Hôpital (devenu quai Moncousu, du nom d'un de ses capitaines). Franc-maçon de la Loge Saint-Germain du Grand-Orient, il est ouvert aux idées nouvelles tout en s'assimilant à la noblesse qu'il juge pourtant "parasite"... C'est un homme solide qui attache beaucoup d'importance à l'éducation de ses enfants, Jean-Gabriel disait: "Mon père me fit devenir vieux à force d'études lorsque j'étais jeune".


Ses fils font leurs études chez les Oratoriens, un des meilleurs collèges de l'époque, les élèves y participaient à des exercices littéraires et des divertissements dramatiques. Cet environnement va favoriser le développement de leur personnalité.

Benjamin Franklin (Musée Dobrée)

Dès 1771, à la suite de son accord avec Montieu, Jean Peltier s'occupe aussi à Nantes du transit d'armes destinées à la Marine française pour les ports de Rochefort et Lorient, en provenance de la manufacture Royale de Saint-Étienne. Une position privilégiée qui n'échappera pas plus tard aux commissaires américains.

En 1776, convaincu par Benjamin Franklin lors du passage de ce dernier à Nantes, Jean Peltier Dudoyer se rallie à la cause américaine. Aux sentiments vont se méler les intérêts, car le marché est colossal. À Paris le Docteur Barbeu prend des contacts avec Carrier de la Thuilerie à la manufacture de Saint-Étienne, mais Beaumarchais est déjà en relation avec Carrier de Montieu, ils vont envoyer des armes aux "insurgents" avant que la France ne décide d'intervenir ouvertement. Pour contourner les interdits royaux les armes devront d'abord être exportées vers les Antilles, puis transbordées sur des caboteurs aux États-Unis.

En juin 1776, le roi prête à Beaumarchais 1 million de livres tournois ; avec un prêt équivalent du roi d'Espagne, Beaumarchais crée la Société d'armement "Roderigue Hortalez & Cie" dont un des associés est Montieu. Devant la pénurie de bateaux, ils sont obligés de s'adresser à des armateurs de métier. Un premier essai malheureux au Havre en décembre 1776, va les inciter à s'orienter vers le port de Nantes.

C'est ainsi que Jean Peltier Dudoyer devient le correspondant de Beaumarchais à Nantes et son associé dans des affaires ponctuelles. Il s'en suivra un échange de nombreuses lettres entre eux et également avec Theveneau de Francy, fidèle collaborateur de Beaumarchais. Pendant les 3 années qui vont suivre le nom de Jean Peltier Dudoyer est fréquemment cité dans la correspondance de Benjamin Franklin. Il entretiendra de bonnes relations avec le commissaire américain Silas Deane et une collaboration fructueuse et pleine de confiance avec Jonathan Williams, le neveu de Benjamin Franklin, représentant les intérêts américains à Nantes. Malgré l'accord du Roi, les relations seront tendues avec le minstre de la Marine tant que la France n'aura pas reconnu l'indépendance des États-Unis. Jean Peltier Dudoyer est surveillé et doit armer pour lui-même le corsaire que les Américains lui ont commandé. Le navirre s'appelle le Lion en attendant d'être rebaptisé le Deane dès qu'il aura gagné le large.

Entre 1778 et 1782, période la plus florissante pour lui, Jean Peltier Dudoyer, avec 7.205 tonnes de frêt, était le plus important armateur de Nantes. Doté d'une flotte récente (moyenne d'âge 2 ans), il joua de malchance : 13 navires furent pris par les Anglais ! dont le bateau corsaire Le Zéphir qu'il avait armé pour accompagner le Fier Roderigue. Les rôles des bateaux aussi connus que l'Amphytrite, la Belle Eugénie (du nom de la fille de Beaumarchais) ou le Bonhomme Richard ont comme armateur: "Pelletier-DuDoyer" !
Ses navires vont faire partie des convois vers l'Amérique escortés par la Royale. Convois commandés par La Motte-Picquet ou Ternay quand il s'agit de l'envoi du corps expéditionnaire de Rochambeau.

En 1781, sur l'initiative de Montieu, Jean Peltier Dudoyer transporte au Cap de Bonne-Espérance, pour le compte de la Compagnie des Indes hollandaises (la VOC), la Légion du Luxembourg sur 5 bateaux que le roi de France lui rachètera par l'intermédiaire de Robert Pitot de passage sur place. Ces bateaux ravitailleront ensuite l'escadre militaire de l'Océan Indien, commandée par Suffren.

Au cours de toute cette période Jean Peltier Dudoyer embarque de nombreux neveux qui vont se révéler être de bons marins : des Peltier, ou des Pelletier pour les fils de son frère François.

Beaumarchais, écrivain et armateur

L'association avec Monthieu qui avait été fructueuse à ses débuts s'est révélée ensuite catastrophique. Beaumarchais critiquera sévèrement Montieu: "Que Dieu me préserve de jamais compter sur lui pour rien ... C'est un étrange ami que notre ami !"

Jean Peltier Dudoyer s'associe également avec son gendre Michaud et avec Étienne Carrier, cousin de Jean Joseph C. de Montieu, pour le Comte d'Angevilliers, le Comte d'Estaing, et le St Rémy. Le Saint-Rémy est un bateau très connu dans le monde des Acadiens (et des historiens) : il fut l'un des sept navires avec le Bon Papa frétés pour le compte du Roi Charles III d'Espagne afin de transporter les Acadiens qui désiraient partir pour la Louisiane en 1785. Un troisième navire la Caroline est commandé par un neveu Nicolas Baudin qui découvrira plus tard les côtes australiennes. Lors d'autres voyages, notamment celui de 1783, il avait embarqué des Acadiens comme membres d'équipage, dont certains désertèrent. Marie-Étienne, second capitaine du Bon Papa, était chargé de vendre le bateau à la Nouvelle-Orléans, ce qu'il fait aussitôt arrivé, mais il disparaît après la transaction...

Comme beaucoup de négociants Jean Peltier-Dudoyer a des intérêts à Saint-Domingue, acquis en compensation des avances non remboursées par les colons..., malgré ses correspondants sur place, les frères Mayer (ou Minyer ?). À la suite des révoltes des esclaves, la perte de ses créances qu'on peut estimer à 100.000 livres rendra sa vie difficile.

Quand son fils ainé Jean-Gabriel atteint 25 ans, en 1785, son père lui établit une procuration chez le notaire nantais Jalabert afin d'ouvrir une banque à Paris avec Étienne Carrier. L'intelligence de son fils a dû lui masquer ses défauts, de plus la période est difficile. Fin décembre 1787 leurs livres de comptes sont mis sous scellés ! Ils sont victimes de la faillite retentissante de Baudard de Saint James, trésorier de la marine et bailleur de fonds de leur banque avec de La Valette. Baudard qui, voulant rivaliser avec le Comte d'Artois, s'était ruiné en construisant une "folie" (qui existe toujours) en bordure du bois de Boulogne.

En 1788 Beaumarchais est nommé "syndic de leurs créanciers réunis".

C'est pour Jean Peltier le début de sa ruine "grâce" à Jean-Gabriel par sa banque et aux folies d'investissements de J-J. Carrier de Montieu qui a voulu acheter le Château Lafite. 
"La petite Hollande à Nantes"
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D'après Jean-Gabriel, son père se serait exilé à 56 ans aux Indes pendant la période révolutionnaire (1790 à 1792), en raisonde ses écrits. En fait, devant les difficultés à Saint-Domingue, Jean Peltier Dudoyer a été un des premiers armateurs à se retourner vers l'Océan Indien. Il aide Robert Pitot, armateur de l'Isle de France, revenu de captivité en Irlande, et finalement s'associe avec lui dans des opérations montées avec d'autres "Mauriciens" résidant momentanément à Bordeaux : Jean-Baptiste Couve de Murville et Carier de l'Écluse. Devenu veuf, Jean Peltier Dudoyer est parti pour l'Isle de France retrouver la veuve de Robert Pitot et l'épouser aux Pamplemousses le 1er février 1791. Il fera encore deux autres voyages entre Nantes et l'Isle de France.

C'est en décembre 1798, au retour de son dernier voyage à l'Isle de France, où il a assisté à l'échec de la mission de Bacco et Burnel d'abolir l'esclavage, qu'il propose sa candidature au Directoire pour être désigné afin de mener à bien l'abolition de l'esclavage aux Mascareignes ! Belle proposition qui restera malheureusement sans réponse.

Jean Peltier Dudoyer mourra à 69 ans le 6 ventose an XI (1803) à "La petite Hollande" (Nantes) ne possédant plus que 4 000F de biens, mais ayant réglé toutes ses dettes, comme le prouve le
jugement de réhabilitation du tribunal de Rennes en 1788. Le même mois décédait sa fille Françoise Michaud, sans doute d'une épidémie de grippe. D'après Jean-Gabriel en représailles du procès de Londres que Bonaparte avait intenté à Jean-Gabriel pendant la paix d'Amiens leurs biens auraient été mis sous séquestre par Napoléon . Ce qui ne semble pas vrai.

L'armement Peltier ne survivra que grâce à François Michaud, ne possédant plus de capitaux les Peltier vont devenir Capitaines de navires, comme beaucoup de descendants d'armateurs.


---------------------------- ----------------------------- -------------------------------Tugdual de LANGLAIS

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SOURCES:

"Le commerce colonial Atlantique et la guerre d'indépendance des États-Unis d'Amérique 1778-1783"
Patrick VILLIERS,

"Un journaliste contre-révolutionnaire, Jean-Gabriel PELTIER", Hélène MASPERO-CLERC, Paris, 1973.

"Annales de Bretagne" Tome 74, de Léon ROUZEAU. "Aperçu du rôle de Nantes dans la guerre d'indépendance d'Amérique", 1967.

Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Peltier_Dudoyer

Correspondances de Beaumarchais retranscrites par Donald C. Spinelli https://clasprofiles.wayne.edu/profile/aa1690