« Les sept frères » était le titre d'un conte gallo recueilli par Jeanne Malivel dans la campagne de Loudéac. Sous sa forme bretonne, Ar Seiz Breur, il devint le nom de la réunion d'artistes et d'artisans qu'elle organisa en 1923 avec René-Yves et Suzanne Creston d'abord, puis Pierre Abadie-Landel, Christian Lepart et Gaston Sébilleau. Le trio initial avait noué sa relation étendue d'ailleurs à Georges Robin qui serait bientôt associé au groupe à Paris durant les cours de breton qu' y prodiguait le Cercle celtique. En réunissant leurs capacités, leur intention était de participer à l'Exposition internationale des Arts décoratifs alors en gestation et d'y révéler au monde l'effort de la Bretagne pour se défaire de ses vieux oripeaux et se réinventer un destin. Cette ambition fut largement assumée ; ils contribuèrent au pavillon breton, Ty Breiz, et en tirèrent une réelle notoriété, qu'ils ne purent toutefois amplifier immédiatement : la disparition de Jeanne Malivel âme de cette première époque et des dissensions faillirent même interrompre l'aventure. René-Yves et Suzanne Creston, Sébilleau, Robin et André Batillat, un ami architecte appelé à la rescousse, maintinrent toutefois le cap et s'évertuèrent à une nouvelle organisation, qui prit forme en 1928 avec la création de l'Unvaniez ar Seiz Breur (UASB), le lancement de la revue Kornog et la proclamation d'un manifeste appelant les créateurs bretons à se montrer « furieusement moderne » sans renier l'héritage ancestral.
Broderie Suzanne CRESTON, réalisée par Marc Le BERRE Etude de Suzanne CRESTON
Pour augmenter son audience et se prémunir contre les concurrences stériles, René-Yves Creston, président de la nouvelle association, rechercha des alliances, notamment avec James Bouillé, fondateur en 1927 de l'Atelier breton d'art chrétien (dit aussi Strollad an Droellen) en compagnie notamment de Xavier de Langlais qui, à l'occasion de ce rapprochement, devint Seiz Breur. La marche fut lente, semée d'embûches et retardée par de regrettables fâcheries, qui furent fatales à Kornog. Mais, peu à peu, le groupe s'affermit et devint le fer de lance du redressement artistique breton, dont il assura en outre la promotion. Creston dut cependant composer avec les circonstances et souvent louvoyer. L'UASB connut donc d'inattendus redéploiements : en 1935, une entente avec le mouvement Ar falz créé par Jean Sohier conduisit ainsi à privilégier la langue bretonne, son enseignement et sa littérature. Le retour aux objectifs initiaux s'opéra cependant à l'annonce de l'Exposition internationale de 1937. Creston fit alors cause commune avec Octave-Louis Aubert, responsable de la participation bretonne, et devint une cheville ouvrière du pavillon projeté. Les rangs de l'UASB furent alors regarnis et seraient complétés sur le chantier même, où Xavier Haas fut adoubé. Xavier de Langlais préféra demeurer en retrait, marquant ainsi sa désapprobation de l'ostracisme qui frappait la langue bretonne au sein de l'Exposition et ménageant ses amis déçus de na pas être de l'équipée.
L'UASB sortit grandie de l'Exposition, où elle s'était manifestée dans tous les registres : la sculpture, la peinture à fresque, le meuble, la céramique, le livre, l'ethnographie, mais aussi l'économie, qui était l'occasion de rappeler quel substrat idéologique clairement autonomiste portait l'essentiel du groupe. Bretagne 38, publié l'année suivante, enfonça le clou et traça des perspectives, que l'imminence de la guerre devait toutefois obstruer. Dispersés, prisonniers ou repliés, les Seiz Breur coururent toutes les épreuves engendrées par la drôle de guerre ; Creston, que son inclination pour le folklore et ses travaux d'ethnologie arctique avaient conduit au Musée de l'Homme, serait même incarcéré pour en avoir soutenu le réseau de Résistance.
Projet d'étoffe imprimée de Suzanne CRESTON
Ils ne purent reprendre leur activité commune qu'à l'été 1941, mais depuis plusieurs mois déjà Radio Rennes-Bretagne diffusait des émissions culturelles où s'activaient nombre d'entre eux. Revenu à Rennes, Creston augmenta ses effectifs, renoua avec Roparz Hemon et fit de l'UASB le moteur de l'Institut celtique de Bretagne fondé en octobre 1941. Les Seiz Breur y contribuèrent activement à l'élaboration des structures et des programmes, qui dans les domaines de la recherche, de l'enseignement et de la création auraient caractérisé la Bretagne dont ils rêvaient. Ce front uni sur le terrain de l'action culturelle masquait de notables divergences idéologiques, notamment sur l'attitude qu'il convenait d'adopter devant les ouvertures provincialistes de l'État français. La nouvelle organisation de l'Artisanat et la perspective pour les Seiz Breur d'y tenir un rôle majeur par l'entremise d'une Société coopérative de Bretagne (Kevredigezh Kenober Micheriou Breizh) semèrent ainsi le trouble. Contesté dans ses options, dans sa manière d'accroître le groupe et pour sa façon solitaire d'exercer le pouvoir, Creston démissionna de la présidence de l'UASB le 4 février 1944, suggérant que Xavier de Langlais le remplaçât. Mais il était bien tard : aucun des efforts développés ne permit de relancer la belle mécanique de naguère. Il faut dès lors tenir pour terme de l'aventure la réunion clairsemée, qui se tint à Saint-Brieuc le 26 juillet 1947.
Etude de buffet de Jeanne MALIVEL (1925)
Etudes de lit divan et table rabat de Jeanne MALIVEL Etude de service à gateau de R.-Y. CRESTON
Les Seiz Breur ne peuvent évidemment se prévaloir d'un rôle exclusif dans le redressement artistique breton, qui s'opèra effectivement durant l'entre-deux-guerres, mais ils en furent collectivement un agent déterminant. Leurs remarquables créations, le panache de leurs proclamations et leur habile surgissement au moment des Expositions internationales furent essentiels. Que l'Unvaniez ar Seiz Breur, dont soixante-deux frères et soeurs firent la chair, se soit éteinte juste après-guerre ne saurait laisser de regrets : son rôle historique était épuisé. Une autre époque déjà s'était ouverte où la fécondité bretonne, qu'elle avait contribué à débarrasser de ses inhibitions, pourrait se manifester en confiance.

Daniel Le COUEDIC, Institut de Géoarchitecture.

Pour en savoir plus vous pouvez consulter:

- SEIZ BREUR entre tradition et modernité, sous la direction de D. Le Couédic et J.-Y. Veillard,

édition Terre de Brumes. Textes en français ou en breton.

- La revue Ar MEN, N° 52 et 55, où deux articles sont consacrés aux Seiz Breur,

- Le livre de J.R. ROTTE "Ar seiz breur", édition Breizh hor Bro.