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Il y a des villes qui sont fabriquées avec des rues et des pavés, des grandes artères et des trottoirs, des boulevards et des esplanades, des églises et des gendarmeries. On peut y construire à l'infini des immeubles de rapport, ouvrir des grands magasins ou agrandir des faubourgs, ce ne seront jamais que des agglomérations, des pâtés de maisons agglutinés par le hasard.
Mais il est des cités qui sont des joyaux, des cités qui ont un destin linéaire voulu par la Providence, et dont le coeur - le coeur de la ville - bat au rythme des coeurs qui naissent, vivent et meurent à l'ombre de leurs murs.
Je me souviens encore. Je veux me souvenir toujours.
C'était un soir de juin, un soir du temps de paix, un de ces soirs de vie heureuse, qui sont passés sur nous sans que nous sachions les cueillir, et qui reviennent maintenant nous hanter dans nos songes.
Sur l'azur qui fonçait légèrement, à cette heure où le soleil allait se coucher derrière le cap Fréhel, Saint-Malo, la cité-corsaire, se profilait dans sa ceinture de granit, avec ses toits aigus, ses cheminées monumentales et son clocher qui dressait sa pointe au zénith comme la houlette d'un pasteur.
Vers la porte de Dinan, au fur et à mesure que décroissait le cadran rougi du soleil et que les ombres noyaient les édifices, j'apercevais, au-dessus des remparts, comme un visage de guetteur dont les prunelles phosphorescentes étaient braquées sur la haute mer. Une rumeur de ruche apaisée montait de la ville dont la nuit de velours frangeait déjà le sommeil.
La mer, nourrice éternelle, entourait le rocher de sa vieille berceuse. A chaque étoile, cloutant le ciel répondait une étoile vivante allumée par un foyer terrestre.
A ce moment, l'heure tomba du clocher de la cathédrale. La vibration du bronze anima cette masse obscure et lumineuse, et ce fut comme un coeur qui battait sous le firmament étoilé.
Une espèce de nimbe enveloppa la cité dont chaque pierre racontait un souvenir de grandeur et de poésie, et je sentis tout à coup que Saint-Malo-en-l'Isle, la sentinelle avancée de Bretagne, était une créature - une créature vivante, avec un visage et un corps, et dont l'âme avait été forgée par huit siècles d'Histoire.



Extrait du prélude de Th. Briant, pages 1 et 2.

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