AVERTISSEMENT et
PRÉFACE DE L'AUTEUR
AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR

Il s'agit d'un roman d'anticipation écrit pendant les années 1940-1942, rédigé d'abord en breton sous le titre d' "Enez ar rod", il fut édité une première fois en français en 1946, puis réédité en 1962 par Denoël dans la collection "Présence du futur". Les éditions Coop Breizh ont réédité en février 2002 "L'île sous cloche", en y incluant les gravures parues à l'origine dans l'édition en langue bretonne. Déja en l'an 2000, les éditions Mouladuriou hor yezh avaient réalisé une réédition bretonne d' "Enez ar rod".

Les problèmes que ce roman pose plaisamment sur l'avenir de la science et de l'homme sont des problèmes qui sont devenus d'actualité aujourd'hui, une étrange poésie se mêle à la science-fiction poussée à l'extrême, où l'auteur ne craint pas de pousser le défi jusqu'à l'absurde. En 1940 Xavier de LANGLAIS écrivait: "si l'expérience de l'île sous cloche n'a pas été encore tentée, elle peut l'être dès demain. Elle peut l'être, donc elle sera." Qu'il soit rassuré, c'est fait !

Dans l'île sous cloche les individus n'ont pas d'âme, on la leur enlève à la naissance. L'harmonie se fait au prix de cette monstruosité. Comment Liliana, qui présente toutes les caractéristiques des races primitives (sexe, cheveux, faim, sommeil) a-t-elle pu pénétrer dans l'île sous cloche ? Et surtout, comment espère-t-elle en sortir ? Par la folie ?

PRÉFACE DE L'AUTEUR
à la première édition

Aux lecteurs à l'imagination courte, aux lectrices sensibles — si toutefois la race n'en est pas encore éteinte, ce dont l'auteur doute — en un mot à tous ceux et à toutes celles qui seraient tentés de ne voir dans cette anticipation sur l'avenir que le déchaînement d'une fantaisie purement gratuite, nous nous permettrons de rappeler les récentes recherches effectuées par les savants des deux mondes sur les origines de la vie.
Quant aux craintes que nous inspire l'application possible, à grande échelle, de pareils « travaux », le drame d'Hiroshima n'est-il pas là pour en justifier le bien-fondé ? Résignée d'avance à sa propre disparition, l'humanité s'apprête à subir passivement les dernières entreprises de la Science.
Les quelques lignes suivantes, extraites du livre de Pierre Devaux, L'Avenir fantastique, (éd. Denoël, 1942) donneront une idée des trouvailles que ces messieurs des laboratoires sont déjà en mesure de nous offrir.
Fabriquer des monstres, écrit Pierre Devaux, créer des chevaux ailés pareils à Pégase, des taureaux comme des éléphants, des poulets géants, des singes à tête d'homme, faire naître dans une cornue l'antique mandragore, l'homme en fiole des alchimistes, ce rêve hallucinant est-il sur le point d'être réalisé par la science ? Peut-être. Moins spectaculaire que la machinerie tonitruante de l'aviation ou de la radio, de patients travaux se poursuivent dans les laboratoires, des fleurs de chair poussent sur la gélose des étuves, des yeux bourgeonnent, des "chimères" à deux têtes échappent aux doigts du vivisecteur et filent prestement derrière les bocaux... La science, timidement encore, a réussi à forcer les sanctuaires de la vie.
C'est dans le domaine bouillonnant de la vie des "embryons", ou être en formations, que les fabricants de monstres ont trouvé leurs belles réussites. (... )
Ces merveilles de la nature, il n'est pas interdit de les "truquer" adroitement. Warinski s'adresse à des œufs couvés depuis trente heures. Par une fenêtre carrée, découpée dans la coquille, il introduit une grosse aiguille qu'il appuie sur un point déterminé de l'embryon : remis à la couveuse, l'œuf donnera naissance à un être monstrueux dont le cerveau sera enfoncé dans le tube digestif et dont le Cœur aura émigré en direction de la tête.
Plus subtile que cette fricassée vivante, voici une patte de poussin que Waddington a détachée de l'embryon sous forme de moignon. Placée sur gélose, à l'étuve, et convenablement arrosée d'une liqueur nutritive, la patte pousse. . . sans poulet, dressant ses doigts écartés, terminés par de petits ongles. Le jardinier de cette étrange fleur a du reste, soin de plier de temps en temps la patte, comme le fait le poussin en cours de croissance, sans quoi l'articulation se souderait et formerait bloc.
Allons plus loin ! Prenons, avec Driech, un rasoir de verre et coupons cette morula d'oursin : nous obtiendrons deux oursins de petite taille, tandis qu'en soudant deux morula nous aurions un oursin colosse !
Spemann utilise un étrange instrument de chirurgie embryologique, qui n'est autre. . . qu'un "cheveu " d'enfant mâle âgé de deux mois. Collé par un point de cire à l'extrémité d'une baguette de verre, façonné en nœud coulant, ce minuscule lasso permet d'étrangler à demi la sphère gélatineuse d'un œuf de grenouille, qui donnera naissance à deux têtards distincts. Si la strangulation n'est pas complète, les deux frères siamois resteront adhérents. Et l'on obtiendra une bête fourchue, un têtard à deux têtes et une seule queue ! En opérant sur des œufs d'abeille, Waddington a pu obtenir soit deux petites abeilles à partir d'un seul œuf, soit une abeille et un petit morceau de chair qui se développe de son côté sans prendre aucune forme animale.
La grande découverte de Spemann, celle qui lui a valu le prix Nobel, est celle des "organisateurs", autrement dit des substances chimiques naturelles qui, dans l'embryon, font pousser ici une tête, là une patte ou une aile. L'antique idée d'une "âme organisatrice" (entéléchie), associée au petit être et présidant à son développement, devrait donc être abandonnée. Ces substances, Spemann a pu les Isoler dans des flacons : nous possédons — soit dit en passant avec les restrictions nécessaires quand on frôle les limites de la science — la "liqueur qui fait pousser les têtes", les ailes, les organes les plus divers. Déjà on a réussi à faire pousser un œil rudimentaire sur le ventre d'un triton. Si ces heureuses découvertes se confirment, les fabricants de monstres verront s'ouvrir une belle carrière à leurs imaginations les plus insensées ! »
Quant à l'homme, « l'homme cet inconnu » selon le mot magnifique de Carrel, ces méthodes lui sont-elles applicables ? Jean Rostand ne nous en voudra pas de le piller à son tour et de le citer. Les quelques lignes suivantes, extraites de son « Introduction à l'étude de la biologie humaine » (L'Homme, éd. NRF, 1941), justifieraient à elles seules notre thèse :
"Bien qu'on ait déjà fait vivre en flacons, pendant plusieurs jours, de jeunes embryons de rats ou de lapins, obtenir le développement complet de l'embryon humain en dehors du corps maternel (ectogenèse)1, apparaît encore comme une prouesse technique d'échéance lointaine, car les conditions de la vie embryonnaire sont extrêmement complexes et difficiles à reconstituer. Toutefois la science n'a aucun sujet de tenir pour impossible une telle réussite... La biologie nous invite ici à des anticipations près desquelles celles d'un Wells pèchent par timidité. »
Ainsi le monde sur lequel Liliana s'est échoué n'est pas aussi artificiel qu'il semble à première vue : si l'expérience de L'Île-sous-cloche n'a pas encore été tentée, elle peut l'être dès demain. Elle peut l'être, donc elle le sera.
Le coup de foudre d'Hiroshima doit être considéré comme le prélude d'une cascade de prodiges, inimaginables hier encore. Le règne de la pesanteur est purement et simplement révolu mais, suprême revanche, c'est sous le signe de la bombe atomique que s'amorce l'ère des relations interplanétaires... Notre terre en sautera sans nul doute, et la galaxie avec elle ; toute la question est de savoir si elle sautera à temps, nous voulons dire avant que l'homme n'ait eu le loisir de tenter sur lui-même l'ultime expérience. Car, de toute éternité, son destin l'attend là : chaque progrès dans la connaissance des êtres et des choses le rapproche de l'instant où, las de joies dérisoires de l'analyse, il s'essaiera à la synthèse.
Dès aujourd'hui, le prestige du robot électrique s'évanouit devant les inventions charnelles de la Science. Comparée aux têtards bicéphales de Spemann, l'Andréide aux poumons d'or, « l'Ève future » de Villiers de L'Isle-Adam, nous fait sourire ; c'est l'automate de chair qui sera la grande attraction de l'avenir. Prêtez l'oreille à ce martèlement syncopé qui l'annonce : cœur ou piston ? L'homme machine s'avance dans les coulisses du temps.
Sans nul doute devrons-nous savoir patienter encore quelques lustres avant que l'énergie atomique ne le cède à la biologie et à ses bouillons de culture mais, déjà, l'on peut affirmer que l'homme-scie, l'homme-marteau, l'homme-toupie de L'Île-sous-cloche ne sont que la transposition épique des monstres que les laboratoires s'appliquent à nous construire, pièce à pièce, en secret.
L'humanité est parvenue à la croisée des chemins ; deux voies s'ouvrent devant elle : celle de je ne sais quelle pseudoscience inhumaine, qui nous conduirait tout droit à la disparition de l'espèce, celle infinie de l'Amour.
Puissent ceux qui sont responsables de l'orientation future de notre destinée se souvenir à temps de la forte parole de Russel2 épouvanté par l'avenir que l'homme se prépare à soi-même :
« L'amour doit faire équilibre au savoir où nous périrons. »

                                                                                                              Xavier de LANGLAIS. 1946


1. Le mot y est déjà ; la méthode suivra !...

2. Bertrand Russel : Ce que tu crois.